Green ou Greenwashed ? Le défi durable de l’industrie du vin
Face à l’urgence climatique et à la responsabilité sociale, un message s’impose dans le monde du vin : la durabilité doit aller au-delà de l’étiquette. « Avec la durabilité, au début on avance vite – on cueille les fruits faciles – mais on se heurte très vite à la complexité. Il faut aussi composer avec des arbitrages et des contraintes commerciales bien réelles », explique Dom de Ville, directeur Durabilité et Impact social à The Wine Society (TWS) au Royaume-Uni.
Champagne De Sousa
Une étude récente du Wine Market Council aux États-Unis pointe un obstacle majeur : le manque de clarté et de vision partagée freine la communication. Les consommateurs placent en tête de leurs priorités l’absence d’ingrédients artificiels et l’étiquetage clair des ingrédients naturels, preuve que la notion de « vin écoresponsable » reste floue. Le vigneron californien Jesse Katz résume : « La différence entre une vraie gestion durable des terres et le greenwashing réside dans la transparence, la profondeur des pratiques et la vision écologique à long terme. »
Les tabous de la durabilité
Pour Dr Peter Stanbury, directeur de recherche de la Sustainable Wine Roundtable (SWR) au Royaume-Uni, « il y a beaucoup de vent autour de la durabilité, avec parfois des demi-vérités ». Avec plus de 40 labels spécifiques au vin dans le monde, le secteur est fragmenté, source de confusion.
Pour y remédier, la SWR a lancé un travail de comparaison des standards. Un rapport pilote sur sept d’entre eux est sorti en décembre 2024 ; les autres suivront en 2025. Parallèlement, les monopoles de l’alcool au Canada et en Scandinavie renforcent leur vigilance et incitent leurs fournisseurs à agir. Stanbury souligne que la plupart des référentiels couvrent bien les pratiques viticoles, mais restent faibles sur deux volets : l’aval de la production et les droits humains.
« Dans le vin, on aime parler de pratiques agricoles, de poids des bouteilles… mais on hésite encore à aborder la question des travailleurs », observe de Ville. Membre d’une coopérative vieille de 150 ans, il défend une approche à long terme : « La durabilité, c’est aussi du bon sens économique : on gagne en efficacité et on coche toutes les cases. »
TWS mise sur les certifications, tout en reconnaissant que « toutes ne se valent pas ». Objectif : d’ici 2030, 70 % des vins achetés devront être certifiés par un label crédible, sans pour autant exclure les petits producteurs « souvent plus durables que les grands, mais sans moyens pour obtenir le label ».
Précurseurs et convictions
À Champagne De Sousa, la durabilité est une affaire de famille. Certifié bio depuis plus de dix ans et désormais biodynamique, le domaine a introduit agroforesterie, chevaux de trait et même quartz dans la cave. « Quand notre père est passé au bio, c’était si mal vu qu’il devait presque le cacher », se souvient Charlotte de Sousa. Aujourd’hui, de grandes maisons s’y mettent, par éthique ou par marketing.
The De Sousa family ©Leif Carlsson
La certification est arrivée plus tard, à la demande de clients en quête d’assurance. Cultiver 16 hectares de manière bio et biodynamique en Champagne reste un défi, mais Charlotte et ses frère et sœur prennent le temps d’expliquer leurs pratiques. Les réseaux sociaux facilitent ce travail : « Voir un cheval dans les vignes ou une coccinelle sur un cep, ça parle aux gens », dit-elle.
Entre greenwashing et greenhushing (qui choisit de taire)
De Ville met en garde contre les excès : « L’industrie doit être très prudente sur ce qu’elle affirme. » Il observe moins de greenwashing que de greenhushing – la peur de communiquer par crainte des critiques. « Mais il ne faut pas que la recherche de perfection empêche le progrès. »
Pour lui, « être honnête sur ce qu’on fait bien et moins bien : génère de la confiance ». Alors que la viticulture régénérative et d’autres approches holistiques se développent, l’intégrité, les actions fondées sur des preuves et les progrès mesurables s’imposent comme les clés de cette confiance.
A propos de Sharon Nagel :
Née au Royaume-Uni, Sharon Nagel est journaliste et traductrice spécialisée dans le vin depuis 35 ans. Elle écrit pour le média français Vitisphere et contribue également à la communication d’entreprise.



